Une hélice « vivante », Trust me, I’m An Artist, journal de bord n°13

Leonardo/Olats est partenaire du projet européen Trust Me, I’m An Artist. Dans ce cadre, je tiens un « Journal de Bord » avec des compte-rendus des réunions et des rencontres, mais aussi mes réflexions, lectures et interrogations.

J’ai pris quelque retard dans la tenue de ce journal de bord. Plusieurs mois se sont écoulés depuis la réunion du comité d’éthique autour du projet Cellular Propeller d’Howard Boland. C’était à Berlin, le 5 février à Transmediale.

C’était la première fois, au sein de cette édition de Trust Me, I’m An Artist, que le projet artistique soumis à la sagacité du comité d’éthique était encore à l’état de projet et non pas une œuvre réalisée.

Le comité d’éthique réuni à Transmediale  (photo Lucas Evers)

Le comité d’éthique réuni à Transmediale
(photo Lucas Evers)

Ceci rendait le processus intéressant car, dans le monde scientifique, les accords des comités d’éthiques se font a priori et non a posteriori. En outre, il ne s’agit pas de rendre compte d’une œuvre, ou de la confrontation entre l’œuvre telle qu’elle existe et le discours, y compris éthique, sur celle-ci. Je me trouve, en quelque sorte, dans un discours « troisième » : un discours (3) sur le discours produit (2) sur un discours (1) qui raconte une intention d’œuvre (0) où (1) est le discours de l’artiste racontant son projet, (2) le débat sur l’éthique du projet et (3) mon compte rendu sur (2) et ma propre évaluation de (1) et de (0).

Essayons tout d’abord de résumer le projet d’Howard Boland.

Cellular Propeller entend associer biologie de synthèse et matière biologique pour créer un système hybride, une chimère d’un nouveau genre. Au départ, il envisageait d’utiliser des cellules cardiaques de rats nouveaux nés comme « moteurs » de petites structures mobiles. Devant la difficulté de se procurer ces cellules —et les questions éthiques soulevées par leur obtention— Howard Boland a décidé d’utiliser des spermatozoïdes pour entraîner la rotation d’une roue de la taille d’une pièce de monnaie réalisée par biologie de synthèse. Les cellules seraient les siennes. On aurait ainsi un objet artificiel mu par une cellule biologique « naturelle », transformant le vivant (la cellule) en machine.

Le bioart spéculatif ou un projet purement conceptuel n’est pas l’approche d’Howard Boland pour qui il est essentiel de réaliser effectivement l’œuvre. De mon côté, gloser sur une œuvre qui n’existe pas encore m’intéresse assez peu quand on sait l’écart entre les intentions et ce qui aura pu être fait. Face à un projet aussi emblématique et ouvert à l’interprétation que Cellular Propeller, restons-en aux questions éthiques soulevées. On peut en distinguer trois :

– L’utilisation de matériaux humains

– L’expérimentation avec soi-même puisque l’artiste utilisera ses propres spermatozoïdes

– La nature de l’objet créé, entre l’artificiel et l’humain.

On peut argumenter que les deux premières relèvent de l’éthique uniquement parce que l’œuvre ne peut être réalisée qu’au sein d’une institution de recherche. D’une manière générale, ce type d’institution est dans l’obligation de justifier et de rendre compte de l’utilisation de matériau humain et n’autorise pas la recherche sur soi-même. On ne peut être son propre cobaye dans la recherche scientifique. Ces deux points n’ont, en revanche, pas grand sens dans la pratique artistique où d’une part l’humain a été un des premiers matériaux de l’art et où, d’autre part, expérimenter sur soi-même est le fondement même de la performance et du body art. Cependant, la question « peut-on être un tiers à soi-même » est une de celles sur laquelle l’artiste insista, une autre étant la potentialité de livrer publiquement des informations (génétiques) qui relèveraient de l’intime et du privé. En fait, c’est bien la symbolique associée aux spermatozoïdes, cellules de la fertilité, de la fécondité, de la vie et de la virilité, qui semble ici l’enjeu.

Un élément d’ordre symbolique peut-il être retenu comme une question éthique cruciale et critique ? À moins que l’éthique ne repose, précisément, sur le symbolique …

La question de la nature de l’objet, en revanche, me semble au cœur du sujet en ce qu’il illustre une évolution possible du vivant, et potentiellement du vivant humain. Si le projet artistique en tant que tel ne me paraît pas soulever de réels problèmes, ce qu’il met en jeu est une des questions essentielles de la recherche biomédicale.

Le comité d’éthique était composé de : Bobbie Farsides (Ecole de médecine du Sussex, Brighton) ; Sabine Roeser (Université de technologie de Delft) ; Ursula Damm (Université de Weimar) ; Philipp Bayer (Université d’Heidelberg).

 

Le projet « Trust Me, I’m An Artist » a été soutenu par le programme Creative Europe de l’Union Européenne.

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